Hydroélectricité

« Elle est le progrès, la poésie des humbles et des riches ; elle prodigue l’illumination; elle est le grand Signal ; elle écrase, aussitôt née, l’acétylène. » s’enthousiasmait Paul Morand (*) à l’aube de l’Exposition Universelle de 1900 à Paris. Aristide Bergès, en 1889, avait repris à son compte l’expression « Houille Blanche », avant de la populariser en initiant en 1925 l’Exposition Internationale éponyme à Grenoble. A l’aube du XXe siècle, l’électricité était porteuse d’espoirs de devenirs meilleurs et amorçait rapidement une première « transition énergétique », selon le terme consacré aujourd’hui : elle se préparait à remplacer l’acétylène pour l’éclairage urbain et la Houille Noire - le charbon - dans l’industrie et les transports ferroviaires).

 

Houille Blanche et bassin grenoblois

 

Hydro-éléctricité, définition : l’hydroélectricité ou énergie hydroélectrique exploite l’énergie potentielle des flux d’eau (fleuves, rivières, chutes d’eau, courants marins, etc.). L’énergie cinétique du courant d’eau est transformée en énergie mécanique par une turbine, puis en énergie électrique par un alternateur.

 

Entre 1886 et 1918, la vallée de la Romanche comptait six centrales électriques alimentées par des turbines. La toute première fut implantée dans la commune de Livet-Gavet et les suivantes dans l’aval de ce cours d’eau : la puissance des torrents  permettait dès lors de s’affranchir des roues à aube pour alimenter des génératrices électriques d’une puissance colossale pour l’époque. Ce formidable afflux d’énergie permit donc le développement d’une industrie locale moderne ; orientée métallurgie dans le haut de la vallée (1), elle se déclinait en papeterie dès l’arrivée en plaine (Vizille, Pont de Claix), puis en chimie de Jarrie au Pont de Claix (1915) (2) jusqu’à Echirolles. (Usine de la Viscose-1927).

Les établissements Keller et Leleux à Livet-Gavet modelèrent l’activité de la saignée de la Romanche en établissant un centre de production électrochimique et électrométallurgique permettant la fabrication d’alliages gourmands en énergie.(3)

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Les établissements Keller et Leleux sur le cours de la Romanche, à Livet-Gavet (photo © L.Bagnard)

 

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La Maison Keller, face à l'usine de Livet-Gavet (photo © L.Bagnard)

 

Cependant, c’est le Grésivaudan qui décrocha la palme historique de l’utilisation de la Houille Blanche grâce à Aristide Bergès ; ingénieur, entrepreneur et républicain convaincu. En 1867, il installe sa première râperie à aube (atelier de transformation de bois en pâte à papier) à Lancey. Douze ans plus tard, il passe à l'électrique en ajoutant une génératrice hydroélectrique au bâtiment originel, afin de le convertir en papeterie. Au fil des ans et des développements de sa technologie, sa production électrique finit par excéder les besoins de l'usine : elle permit donc d'éclairer le premier village de France, Saint-Mury-Monteymond (Isère).

Bergès considérant que « le progrès technique doit servir le progrès social », fit « installer l'électricité » à Lancey et fournit l'éclairage urbain pour la fête nationale de Grenoble en 1892. En 1996, sa Société d'Eclairage Electrique du Grésivaudan alimentait toute la vallée, ainsi que la ligne de tramways Grenoble-Chapareillan.

Les papeteries de Lancey devinrent célèbres et l'énergie hydraulique s'étendit à toutes les Alpes du Nord. Devant les résultats industriels, l'expression « houille blanche » connut un succès foudroyant. (4)

Habile communicant, Bergès s'imposa donc comme référence en matière hydroélectrique; En lien avec d'autres industriels et la municipalité de Grenoble fut installée en 1925 pour une durée de quatre mois l'Exposition Internationale de la Houille Blanche (voir article précédent). Source d'inspiration pour nombre d'entrepreneurs locaux, elle plaça Grenoble au cœur de l'engouement technologique des années 20. Sa position géographique favorable permit donc la transition – et la création - de nombre d'usines désormais alimentées à l'hydroélectricité. Les abondants cours d’eau et matières premières firent en sorte que le bassin grenoblois (étendu) regorge rapidement d'industries papetières et métallurgiques.

Sur un dernier axe, celui du Voironnais, la Morge au centre, la petite rivière de la Fure à l'Ouest et le Guiers au Nord fournissaient suffisamment de débit pour alimenter un nombre conséquent de génératrices. L'industrie papetière alors florissante côtoyait tissage et métallurgie : la Fée Electricité avait touché toute la région de sa baguette magique !

Cette énergie que nous ne connaissons que transportée depuis des centres générateurs impossibles à localiser (et dont les modes spécifiques de production nous sont absolument étrangers) était alors un pur produit local, intrinsèquement non polluant. (6)

 

L’Electricité de France (EDF)

 

Ce rapide survol de la production d’électricité et de son application première, l’industrie, n’est ici destinée qu’à mettre en lumière (!) l’expansion économique et technologique fulgurante de la région (les entreprises connexes telles Neyrpic fabricant les turbines à Saint Martin d’Hères, les usines de Moirans ou de Fontaine sont volontairement laissées de côté, de même qu’une liste exhaustive du foisonnement d’activités des années 1900-1940). De même, il nous paraît essentiel de nous focaliser sur les turbines situées sur les petits cours d’eau, qui malgré leur taille raisonnable, permettaient à une industrie lourde de se développer. S’il est également important de noter que dès 1909 le développement de cette technologie ‘propre’ permit le transport de cette énergie particulière via la première ligne à haute tension (Grenoble - St Chamond), le fait que l’électricité de l’époque soit une propriété privée est essentiel.

La deuxième guerre mondiale modifia drastiquement cet état de fait.

Le 8 Avril 1946, il fut acté par le gouvernement que « l’énergie constituant un bien public », 1450 sociétés de production, transport et distribution d’électricité seraient nationalisées : l’EDF était née. Ce quasi-monopole d’État (7) chapeautait strictement production et répartition de l’énergie électrique. La vertu initiale fut l’unification du réseau à tout le pays, une distribution équitable puis l’adoption progressive du standard 220 Volts. L’orientation des années 1970 vers le nucléaire, paradoxalement parallèle aux premiers signes de désindustrialisation, gomma progressivement de la mémoire collective l’hydroélectricité initiale des torrents et rivières, ainsi que le fait qu’elle puisse être produite par des entités individuelles. Les barrages pharaoniques d’une EDF à la pointe de la technologie – et à la tête d’une distribution sans partage du produit de ses centrales – relégua les turbines locales dans les limbes de l’histoire industrielle dès le déclin des entreprises familiales du siècle passé.

En l’espace de quelques générations, il fut acquis que l’électricité des ménages comme celle des professionnels ne devait provenir que d’un organisme qui, de bien public, était devenu au fil des décennies exportateur doublé de promoteur d’une technologie loin d’être ‘verte’ : la fission nucléaire. 

En 2017, 77 % de l’électricité produite en France était d’origine nucléaire (8). Cependant, en 2016, l’autorisation « d’auto-consommation » avait rapproché le particulier du monopole de la production : son installation de panneaux solaires permit à EDF de s’acheter une image plus ‘verte’ en intégrant dans son circuit de distribution le courant produit par le particulier, contre rétribution à hauteur de sa participation…

 

Hydro-Eco ?

 

La fin des « Trente Glorieuses » coïncida avec la fermeture d'une majeure partie des unités industrielles historiques de la région, recentrant l'activité vers l'autoproclamée « Silicon Valley française ». Les monstrueux barrages du Sud de la région noyèrent l'existence des petites centrales locales ; sans bouleversements écologiques, certaines d'entre elles continuent cependant à produire paisiblement de l'énergie sans que soit soulignée leur contribution à la voracité électrique de notre époque.

Déstabiliser l'écosystème planétaire en un peu plus d'un siècle force le nôtre à s'interroger sur l'équilibre à trouver entre nécessité énergétique, intelligence de sa production et frénésie de consommation. De fait, l'investissement dans une « transition verte » est à l'aube de redécouvrir l'avantage d'un mode de production propre, antérieur au XXe siècle, qui ne demande qu'un débit d'eau régulier.

Les centrales disparates de la vallée de la Romanche vont disparaître – à l'exception de celle de Livet Gavet, classé monument historique – au profit d'un barrage respectueux de la bio-diversité (9) produisant 40% de plus que l'ensemble de ces dernières. Si le principe reste le même, la technologie moderne permet ce rendement supérieur.

Les anciennes installations, notamment sur la Fure, de Rives à Tullins continuent discrètement à fournir du courant. A titre d'exemple, deux d'entre elles l'ont fait jusqu'à 2019 sur cette dernière commune, date à laquelle leur conformité (et leur utilité- (10)-) ont été validées et reconduites pour 40 ans. Il en est d'autres en amont qui, bénéficiant d'une infrastructure fiable, quasi séculaire, continuent de débiter discrètement des kilowatts dans un cadre idyllique (voir photos)... La production locale et son pendant, le circuit court, paraissent de fait moins utopiques que le slogan « L'énergie est notre avenir, économisons là »...

 

centrale

Centrale du début du XXe siècle encore en activité sur la Fure, à Rives.

canal

Canal surplombant la Fure, destiné à alimenter la turbine en contrebas.

conduite forcée

Conduite forcée reliant le canal à la turbine.

let's rock

Parallèlement à la conduite forcée, un canal de dérivation (avec écluse).

usine

Ancienne papeterie, en contrebas de la centrale, attestant de l'ancienne activité industrielle implantée sur les bords de la rivière.

 

Des sociétés privées locales, telles Eco Energie (11) à Renage, ou Buxia  (par ailleurs une SAS) à La Buisse s'engagent à valoriser et pérenniser ce patrimoine (12). L’association Hydro 21 à Grenoble ayant dès 2002 pour objet de « regrouper les acteurs privés et publics concernés par le développement de l'hydroélectricité en vue de mobiliser toutes les compétences du site sur les opérations de promotion, de formation initiale ou continue, de recherche » (source Journal Officiel), vient d’en terminer avec un symposium sur ce thème d’actualité. D’après son président, les 15 % que représentent l’hydroélectricité dans le paysage global restent « la première source d’énergie renouvelable ».

Pourrait-on ajouter que la « petite hydroélectricité », ainsi qu’est désormais cataloguée cette production d’antan, est également une énergie quasiment gratuite... puisqu’elle ne requiert ni matière première (si ce n’est l’eau) ni (ou très peu de) maintenance ? 

 

Laurent Bagnard pour Alpes Solidaires

 

 

 

(*) - (1888/1976), écrivain, diplomate et académicien français.

 

  1. - « C’est l’hydroélectricité qui assure le véritable développement de la commune de Livet-Gavet. Le cours de la Romanche est jalonné de barrages et de centrales … Le principal atout des productions électrochimiques et électrométallurgiques est leur grande diversification et leur adaptation permanente aux besoins du marché … Les industries de la vallée connaissent un essor considérable pendant la guerre de 1914-1918 car toutes travaillent pour la défense nationale… production d’explosifs, d’acier électrique, d’obus ». La mise en mémoire de l'aventure industrielle d'une vallée alpine (Isère). MC Bailly-Maître, Laurence Pissard.
  2.  - « Lors de la Première Guerre mondiale, l'armée française a développé une industrie du chlore afin de produire du gaz moutarde dont elle avait besoin sur le front. Le site de Jarrie a alors été choisi, en raison de son éloignement du front, et de sa proximité avec des cours d'eau et la possibilité de produire de l'électricité sur place, deux éléments indispensables à cette industrie. » Source : rapport parlementaire du 25 juin 2008, cité dans l’article « Plateforme Chimique de Jarrie », Le Tamis 
  1. -  Leur legs architectural est classé monument historique pour une part (centrale des Vernes, 1918) et pour une autre part, la maison de maître connut son heure de gloire dans le long-métrage « Les Rivières Pourpres », de Mathieu Kassovitz, 2000.
  2. – Source Wikipedia
  3.  – Sur le cours de la Fure étaient établies 5 papeteries, dont trois à Rives. A Renage et à Tullins, des unités de tissage industrielles étaient implantées le long de la rivière. Entre-Deux-Guiers hébergeait une autre papeterie, de même que Voiron et Saint Laurent du Pont une aciérie.
  4. - Il n'en allait pas de même pour les résidus de cette utilisation de l'énergie électrique : des tonnes de produits toxiques ont été relâché dans l'eau et dans l'air durant des décennies sur tout le périmètre d'un bassin étendu de l'Oisans à la Chartreuse, en passant par la vallée alpine et les prémisses des Terres Froides…
  5. - La SNCF, par exemple, pouvait produire sa propre électricité par dérogation. De même, certaines sociétés d’économie mixte pouvaient prétendre à leur propre distribution.
  6. - EDF possède 58 réacteurs en France et 15 au Royaume-Uni.
  7. - source Actumontagne: https://www.actumontagne.com/economie/hydroelectricite-construction-et-deconstructions-dans-la-vallee-de-la-romanche/ (centrale mise en service le 9 Octobre dernier).
  8. Extrait du rapport du Conseil Municipal du 13 Décembre 2018 :« La production d’électricité représente 1 800 000 KW/an - ce qui équivaut à la consommation annuelle de 80 maisons de 150m2 « tout électrique ». De plus, l’exploitation de ces centrales a des effets intéressants à plusieurs titres :- Nettoyage de la rivière, la Fure, et de ses abords,- Cette démarche s’inscrit dans la recherche de nouvelles solutions énergétiques et dans le développement durable,- Les centrales hydroélectriques entrent dans le cadre de la nouvelle loi sur la transition énergétique,- Peu d’impact sur le milieu ripisylve et sur la faune.Techniquement, il convient de noter que les installations sont soumises au Code de l’environnement et font l’objet de vérifications quant à leur incidence sur la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques. »
  9. En charge des centrales de Tullins, cette société indique dans ses statuts qu'elle « a pour objet ...l'achat, la prise en location, l'étude et la réalisation de toutes installations capables de produire de l'énergie électrique … ou … de transformer l'énergie hydraulique pour l'utiliser librement ou la vendre à Electricité De France. »
  10. https://evenementiel.chepy.net/centrale-hydro-electrique-francis-de-1890.html

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