Par Jérôme DIAZ pour Impact/Le Bon Plan

11/12/2023

 

 

 

« La Nef éthique1 » porte bien son nom : cette banque... n’est pas une banque.

Première coopérative de ce genre en France, cette structure, née en 1988 grâce à la garantie du Crédit Coopératif auprès de la Banque de France, est ancrée dans l’Économie Sociale et Solidaire.

Elle fait donc l’inverse de ses « consœurs » : pas de spéculation, pas de profit.

Afin d’en savoir plus sur cette structure, emblématique de la finance éthique en Rhône-Alpes, la rédaction d’Alpes Solidaires s’est entretenue avec l’un de ses Sociétaires, François Worms.

 

 

Engagé de longue date au sein de La Nef, François Worms nous explique son rôle de Sociétaire, et ce qui l’y a conduit : son épouse et lui-même souhaitaient changer de banque, afin de privilégier un établissement qui pratiquerait des investissements éthiques et solidaires. L’un de leurs amis, militant comme eux auprès de l’association A.T.D.-Quart Monde, leur a alors parlé de cette coopérative financière basée en région lyonnaise...

 

 

- M. Worms, qu’est-ce qui, selon vous, différencie La Nef éthique d’une banque « classique » ?

 

La Nef éthique a été créée avec le soutien du Crédit Coopératif ; il s’agit d’une Coopérative financière, du fait son statut juridique2 et de ses valeurs propres à l’Économie Sociale et Solidaire. Elle ne finance que des projets écologiques : bio et énergies renouvelables, domaine socioculturel, etc.

Elle est encore liée au Crédit Coopératif du Groupe B.P.C.E. (Banque Populaire - Caisse d’Épargne), ce dernier étant encore caution de la Nef auprès de la Banque de France.

 

Par ailleurs, cette banque fait partie d’un regroupement national appelé « Les Licoornes3 » : s’y retrouvent des structures partageant les mêmes valeurs (coopératives, respect des fournisseurs, sensibilisation à une consommation plus durable), et qui proposent des services variés : seconde main, autopartage, covoiturage, location de téléphones, abonnements internet, fourniture d’électricité verte, une chaîne de magasins Bio…

 

 

La Nef éthique n’est pas une banque au sens classique, mais un « établissement de crédit spécialisé4 »; à ce titre, la coopérative ne bénéficie toujours pas du statut de banque.

Il s’agit là d’une spécificité française : plus une structure comme la Nef – malgré son ancienneté, sa réputation et son cadre juridique5 - est de taille et de moyens modestes, moins ce statut lui est facilement accordé.

 

Par ailleurs La Nef, est, en quelque sorte, détachée du Crédit Coopératif : auparavant, il était possible de disposer, par l’intermédiaire du Crédit Coopératif, d’un compte courant ou d’un compte épargne à La Nef. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, car il n’existe plus de liens commerciaux entre ces deux structures. Néanmoins, le Crédit Coopératif - dont La Nef est un client, et non une filiale - continue, depuis la création de La Nef, d’assumer sa responsabilité vis-à-vis de cette dernière ; elle est son garant auprès de l’instance de contrôle et de régulation qu’est l’A.C.P.R. Par conséquent, en cas de problème quelconque avec La Nef, le Crédit Coopératif assurera son rôle. La bataille désormais, pour La Nef, concerne donc l’obtention d’un statut juridique de banque à part entière.

 

 

- Qu’est-ce qu’un « Sociétaire », en particulier à La Nef éthique ? Est-ce le même principe qu’un client « normal » qui y serait simplement titulaire d’un compte, ou cela implique-t-il un engagement plus prononcé, en accord avec les valeurs défendues par la coopérative ?

 

Le fait d’être Sociétaire est une démarche bien particulière, qui consiste notamment à posséder des parts sociales. Le minimum, pour devenir Sociétaire de La Nef, est d’en acheter au moins trois : chaque part coûtant 30 euros, cela représente donc en tout 90 euros. Les parts sociales forment ce qu’on appelle le capital de la coopérative, lequel permet, ensuite, de faire des prêts. Toutefois, on peut très bien être client de la coopérative et y disposer d’un livret d’épargne sans en être Sociétaire.

 

Il existe différents types de Sociétaires : il peut s’agir de personnes physiques (vous, moi) comme de personnes morales, emprunteurs ou non.

 

 

- A quoi sert le capital ? Et qui sont les emprunteurs ?

 

La constitution d’un capital est la règle dans le milieu bancaire, car toute banque doit disposer d’un minimum de capital pour effectuer des prêts. A La Nef, par exemple, pour un prêt de 1000 euros, la structure doit posséder 110 euros de capital. Par conséquent, même s’il y a assez d’argent sur les livrets pour effectuer ces prêts, la banque doit disposer d’un minimum de capital afin d’utiliser cet argent, et l’utiliser à bon escient ; si ce n’est pas le cas, que cette règle n’est pas respectée, le prêt est refusé par l’Autorité de contrôle.

 

C’est là le sens de notre campagne « Big Banque »6: créer un mouvement citoyen, permettre à la Nef de disposer d’un capital plus important, afin que les prêts qu’elle accorde aux emprunteurs soient, eux aussi, plus conséquents. Et montrer qu’il y a une demande pour qu’un statut de banque lui soit accordé.

 

En ce qui concerne les emprunteurs, ce sont des individus et des personnes morales : nous les encourageons à prendre des parts sociales dans la coopérative, car un prêt accordé diminue la capacité d’en accorder d’autres. Ces parts permettent ensuite à la Nef d’augmenter son capital, donc de proposer des prêts plus importants qu’un prêt seul ne permettrait pas.

 

Il existe aussi des structures qui soit prennent des parts sociales, soit participent au capital de La Nef mais sans avoir de droit de vote ; c’est le cas, par exemple, de la Banque Alternative Suisse, du Fonds Européen d’Investissement ou de Mirova, pôle investissement durable de Natixis.

 

 

- Revenons à la notion de gouvernance : quelle est la place des Sociétaires dans la prise de décision ?

 

A La Nef s’applique la règle « Un Sociétaire, une voix », soit le principe commun aux coopératives. Notre voix est donc prise en compte en Assemblée Générale, notamment sur l’aspect financier. Nous votons aussi pour élire les membres du Conseil de Surveillance, qui est l’équivalent d’un Conseil d’Administration dans n’importe quelle entreprise capitalistique. Ce principe nous permet également de participer activement à certaines décisions : en tant que Sociétaires, nous avons fait campagne, par exemple, pour que la plus grande partie de l’argent récolté au sein de La Nef puisse être utilisée pour des prêts.

 

Nous avons des rencontres régulières avec le Conseil de Surveillance et le Directoire ; ces moments sont l’occasion pour nous de leur rappeler qu’une certaine somme doit être préservée afin d’engager des prêts, surtout que ce sont des projets d’utilité sociale, en lien avec nos valeurs : social, environnement, écologie… Nous veillons à ce qu’ils puissent être financés - ces prêts sont vérifiables grâce aux publications annuelles de la coopérative -, et que les sommes engagées soient destinées à ces prêts, et non à de simples placements.

 

 

- Quelle différence entre un « prêt » et un « placement » ?

 

Un prêt consiste à soutenir un projet ; le placement, lui, est plutôt d’ordre financier.

Et à La Nef, ces prêts sont destinés prioritairement à des projets éthiques : environnement, bio, renouvelable, culturel, social, etc.

 

Il faut retenir une chose au sujet de La Nef : le principe de soutenir des projets, même modestes, est au cœur de son A.D.N. Nous voyons que de plus en plus de prêts importants sont accordés – aux niveaux communal, intercommunal, départemental, etc.-, ce qui est une bonne chose politiquement, mais notre priorité concerne des projets plus petits : même s’ils ne sont pas forcément rentables, ces projets répondent à nos exigences éthiques.

Nous ne pouvons cependant pas utiliser tout l’argent disponible pour effectuer des prêts ; nous sommes dans l’obligation légale d’avoir des réserves, qui sont de l’ordre de 30 %. Ces réserves sont donc placées, afin de permettre de dégager un revenu de complément.

 

 

- Puisque vous parlez d’éthique, de quelle marge de manœuvre – en termes d’importance au sein de la structure et de possibilités d’expression - les Sociétaires disposent-ils ?

 

Il y a une vraie vie démocratique au sein de la coopérative : les trois salariés du siège, à Vaulx-en -Velin, échangent régulièrement avec les Sociétaires en région, font remonter des informations à ces derniers afin de sensibiliser le public et, pour cela, mettent des outils à disposition des sociétaires : forum de discussion, lieu d’échanges et de mise à disposition de documents rédigés par le Conseil de Surveillance, etc. Cela permet aux Sociétaires qui sont plus impliqués de discuter entre eux des projets, des investissements.

 

Par ailleurs, grâce à une initiative du Conseil de Surveillance, nous avons depuis deux ans, en tant que Sociétaires, la possibilité de proposer des résolutions en Assemblée Générale (A.G.). Jusqu’à présent, les résolutions en A.G. étaient proposées surtout par le Directoire et le Conseil de Surveillance, sur les questions propres à toute Assemblée Générale : rapport moral, rapport financier... Afin de faire évoluer la vie démocratique au sein de La Nef, nous avons émis le souhait de participer à ces résolutions, de les soumettre à la discussion et au vote. L’an dernier, déjà, nous avions pu aborder des questions fondamentales : qu’est-ce qu’une banque éthique, à quoi celle-ci correspond et comment la définir. Cette année, la question concernera le partage de la valeur, surtout lorsque des bénéfices sont réalisés, et en particulier sur la manière de les répartir : doit-on privilégier les dons à des associations partenaires, consolider la structure de la coopérative, augmenter les taux d’intérêt ? Des réunions sont donc organisées régulièrement en vue de débattre de ces questions.

 

 

- Vous venez de mentionner, parmi les questions qui seront abordées lors de votre prochaine A.G., un terme spécifique au langage bancaire : les « taux d’intérêt »7 ; que désignent ces taux ?

 

 

Les taux d’intérêt désignent deux choses : d’abord le livret d’épargne dont vous disposez à votre banque, et sur lequel la banque en question va fixer un taux de rémunération : livret A, livret d’épargne populaire, etc. Ensuite, les taux d’intérêt payés par les emprunteurs : ces taux doivent non seulement couvrir le risque encouru par la structure bancaire qui vous prête de l’argent, mais permettre, aussi, de payer les salariés de la banque en question. Le taux d’intérêt est alors fixé en fonction du projet : son coût envisagé, etc.

 

C’est, là aussi, une particularité de La Nef : lorsqu’on y ouvre un livret d’épargne, on vous demande, entre autres, si vous acceptez qu’une partie du taux d’intérêt prélevé soit orientée vers telle ou telle association, et si vous acceptez de donner une partie de vos intérêts, de manière à faire payer moins cher les emprunts effectués par les autres emprunteurs ; le taux d’intérêt payé par les emprunteurs doit pouvoir rémunérer les intérêts payés par les autres épargnants.

 

 

- La Nef éthique est, en France, la seule structure financière à publier tous ses résultats en détails (investissements, prêts...)... Pourquoi ce choix ?

 

 

Cela correspond à l’éthique de la banque : la transparence.

Les banques plus classiques publient aussi, en effet, leurs résultats, mais leurs chiffres correspondent à une somme globale ; il vous faut donc creuser dans les détails pour savoir en faveur de quelle entreprise, et dans quel secteur, telle banque a choisi d’investir. Et pour connaître ces détails, une structure internationale comme « Banking on Climate8 » est la plus appropriée : cette association recense les investissements réalisés par toutes les banques du monde dans les énergies fossiles : pétrole, charbon, gaz… Leur expertise concerne aussi bien les matières premières que les usines de transformation, par exemple l’extraction du pétrole ou les usines chimiques.

 

 

- Question subsidiaire, et toujours à propos de chiffres : est-ce que, comme les banques classiques, La Nef éthique soumet ses résultats aux fameuses agences de notation ? Rappelons à nos lecteurs que ces agences, très médiatisées suite à la crise financière et économique de 2007-2008, sont chargées de noter les établissements bancaires9.

 

Je serais tenté de vous dire qu’entre le Crédit Lyonnais, qui dispose d’un actif10 d’environ 1 200 milliards d’euros11, et le Crédit Coopératif, dont le sien avoisine les 25 milliards d’euros, une petite structure comme La Nef, dont l’actif est d’1 milliard d’euros, n’intéresse pas vraiment les agences de notation telles que Moody’s et autres : c’est une question de poids financier.

Toutefois, il existe, comme dans toute entreprise ou structure bancaire, un commissaire aux comptes, chargé de s’assurer du bien-fondé des comptes publiés.

 

 

- Pour finir, si des lecteurs.trices étaient encore réticent(e)s à l’idée de s’impliquer au sein de La Nef éthique, que leur diriez-vous ?

 

Une coopérative financière telle que La Nef semble appropriée pour y placer vos économies, surtout si vous cherchez une structure transparente, vraiment démocratique et qui ne pratique ni la spéculation ni le profit.

 

 

2Une coopérative est une structure au sein de laquelle les Sociétaires, en accord avec les principes de l’E.S.S., non seulement possèdent une partie du capital - grâce à leur apport de fonds propres -, mais ont aussi un vrai rôle dans la gestion démocratique de la coopérative.

3Les Licoornes: plateforme regroupant des coopératives, bancaires ou non, structurées en SCIC (Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif); site internet des Licoornes: https://www.licoornes.coop/

4Selon la formulation que l’on peut lire sur son site internet.

5Outre le fait d’avoir été créée en 1988, avec le soutien du Crédit Coopératif, La Nef éthique dépend de la Banque de France pour son agrément et demeure sous le contrôle de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Régulation (A.C.P.R.), dont voici la présentation : https://acpr.banque-france.fr/lacpr/presentation/quest-ce-que-lacpr

6Voir cette campagne de la Nef éthique sur son site : https://www.lanef.com/actualites/big-banque-derniere-ligne-droit/

7Pour une définition claire, simple et plus développée des taux d’intérêt, voir cette page du site de la Banque Centrale Européenne : https://www.ecb.europa.eu/ecb/educational/explainers/tell-me/html/nominal_and_real_interest_rates.fr.html

9Les agences Moody’s, Standard and Poor’s et Fitch sont les plus connues; https://www.economie.gouv.fr/facileco/agences-notation-role-crise-reforme#

10L’« actif » de la Nef concerne toutes les ressources à disposition de la coopérative: capital, livret d’épargne, compte courant. De manière plus générale, un actif désigne « un titre ou un contrat, généralement négociable sur un marché financier » ; source : https://www.lafinancepourtous.com/

 

 

 

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